Kusen de Raphaël Doko Triet
Lors de la sesshin d’automne 2017, à Saint-Alphonse-Rodriguez (Québec)
Maitre Wanshi dit : » Le vaisseau obscur, c’est notre vie compliquée, la vie des êtres humains, leurs contradictions, leurs désirs, leurs illusions, leur avidité, leur colère, leurs ambitions. «
Tout cela, ce monde que nous fabriquons d’instant en instant, c’est cela la transmigration, la réincarnation. Ce n’est pas plus tard, c’est tout de suite, d’instant en instant. Dans le silence et l’immobilité de zazen, chacun peut réaliser cela et le diriger vers un monde rayonnant. C’est aussi cela que nous invite à suivre le Fukanzazengi.
Dogen continue dans le Fukanzazengi. « Cependant, s’il y a un fossé, si étroit soit-il, la Voie reste aussi éloignée que le ciel de la terre. Si l’on manifeste la moindre préférence, la moindre antipathie, l’esprit se perd dans la confusion. Imaginez celui qui se flatte de comprendre et qui se fait des illusions sur son propre éveil. »
Chaque phrase du Fukanzazengi tisse la trame exacte de la façon de transmettre et d’enseigner le dharma et de le pratiquer, bien évidemment. S’il y a un fossé, si étroit soit-il, la Voie reste aussi éloignée que le ciel de la terre. Maître Deshimaru employait l’image d’un avion qui, lorsqu’il s’envole, s’il y a un écart infime d’à peine un millimètre, ce n’est rien, mais à la fin de son voyage, il se déposera sur un autre continent. C’est pourquoi Dogen décrit avec minutie, exactitude, précision, la manière de marcher sur la Voie, de faire zazen. Il décline tout au long de ce texte avec la plus grande finesse la façon de le pratiquer sans illusion. Lorsque Maître Deshimaru est arrivé en Europe, le zazen était inconnu, le kesa, l’esprit du tenzo, la façon de manger dans les bols.
Durant une sesshin, dans la pratique dans le dojo, dans la vie d’un temple, tout cela doit être exactement pratiqué, transmis. Se tromper, ce n’est pas grave. Si avec humilité on peut rapidement comprendre, changer d’esprit… Le rôle du tenzo aussi est essentiel. Comprendre que ce n’est pas seulement faire à manger. C’est aussi transmettre le dharma, protéger la pratique. Enseigner le kesa aussi ce n’est pas seulement coudre des petits points. Enseigner le kesa sans illusion, sans attachement, exactement. Sans être attaché à la couleur, à la beauté du point.
Un jour, Sensei nous avait dit : « Lorsque vous plantez l’aiguille dans le tissu, prenez soin de ne pas lui faire mal, de ne pas le blesser. » Cette manière-là de transmettre, d’enseigner, doit être préservée.
Je vais vous lire un poème de Maître Dogen. Un poème qui a été traduit du japonais par un condisciple, Kengan, qui parle couramment japonais. Je l’avais commenté cet été à la quatrième session à la Gendronnière. Il a tout à fait sa place à côté du Fukanzazengi.
Naître et mourir sont un nuage de la métamorphose dont il faut s’intéresser.
Sentiers erronés et chemins d’éveil sont parcourus au sein d’un rêve.
Une seule chose arrête cela : se réveiller
et faire durer encore la mémoire du son de la pluie
dans la nuit de la retraite tranquille à Fukakusa.
Ce poème avait été recopié par Kodo Sawaki. Et donc, il ajoute ceci à la fin :
« Poème – Retraite tranquille de l’éminent ancêtre de Eihei-ji, écrit en toute humilité par son descendant éloigné, Kodo. »
Dogen lui-même, en écrivant le Fukanzazengi ne fait que faire durer encore la mémoire du son de la pluie dans la nuit d’une retraire plus ancienne.