Enseignements

Lettre d’Emmanuel Ryu Gaku Rishacher

Lettre d’Emmanuel Ryu Gaku Rishacher qui devait venir à Montréal comme à chaque année afin de diriger le camp d’été 2020

 

Chers amis,
On devrait ou on aurait dû être ensembles, en tout cas un certain nombre d’entre nous pour la session d’été 2020 du Québec à l’Étincelle, ce petit paradis de nature si bien adapté à nos sesshins.
Je regrette de n’avoir pu traverser l’Atlantique pour pratiquer avec vous après un si long confinement international mais mieux vaut un virus qu’une guerre pour réveiller la conscience collective sur la fragilité de notre monde et en particulier de la nature humaine.
On ne sait pas de quelle rétribution de quelles causes et circonstances ce phénomène est dû mais ce qui est certain c’est de notre activité passée, présente et à venir qu’il s’agit.
On peut se demander qui est le virus dans cette histoire. Le covid 19 est peut être comme un contre feu allumé pour lutter contre un incendie bien plus dangereux et incontrôlable qui serait la civilisation moderne.
M. Deshimaru parlait souvent  de la civilisation moderne en crise, aujourd’hui on pourrait plutôt dire une civilisation moderne démoniaque, ravageuse, autodestructrice où aucune valeur d’humanité n’a de prise, n’a d’influence, aucune conscience cosmique n’a le pouvoir de maintenir un équilibre. Alors il n’y a que l’intervention de la nature pour intervenir efficacement et la nature on le sait dans ces cas là ne privilégie aucun existant et en particulier le genre humain.
Je ne veux pas parler par catastrophisme interposé mais tout ce paysage de vie ne fait que me renforcer s’il en était besoin dans ma foi dans le zen, en sa sagesse, dans sa pratique dans sa vision, dans sa conscience. Sa conscience de la vie, de l’interdépendance de tous les existants se manifeste dans sa pratique et on sent bien qu’il faudrait une pratique bien plus forte pour pouvoir incarner la profondeur de cet enseignement intime et silencieux.
On a l’intuition que tout est contenu dans l’enseignement du Bouddha mais comment le rendre audible, visible, réalité?
On le voudrait efficace, universel, omnipotent mais c’est alors que l’on retombe dans le marasme de l’humanité malade qui justement se veut efficace, universelle et omnipotente.
Générosité, éthique, effort, patience, zazen et sagesse, les paramitas du bodhisattva nous font faire un demi tour complet, une révolution radicale que l’on est le plus souvent incapable d’assumer entièrement. Notre frilosité nous englue dans une illusion d’actions et de savoir, de croire savoir, de croire pouvoir et à la fin il ne se passe pas rien, on suit un flux,  un courant contraire à nos convictions.
Et pourtant grâce à Deshimaru, à Dogen, Bodhidharma, Bouddha sans nommer tous les innombrables passeurs-ses,  nous avons l’intuition de l’éveil et ce trésor pour le protéger il nous faut d’abord le partager généreusement. C’est le dixième précepte « ne pas calomnier les trois trésors » et la première calomnie c’est de les garder pour soi.

Bonne pratique à tous,
Emmanuel Ryu Gaku